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vendredi 13 avril 2018

La traversée du paradis d'Antoine Rault


Éditions Albin Michel
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)

Bon, j'ai loupé le premier tome qui avait pour titre La danse des vivants mais j'ai grappillé ici et là deux trois infos que je vous livre pour bien démarrer ce tome deux (cela dit, si c'est plus confortable, ce n'est pas non plus indispensable) : donc, à la fin de la Première Guerre, Charles Hirscheim, soldat français, est retrouvé à moitié mort sur un champ de bataille, touché par un éclat d'obus. L'explosion l'a rendu amnésique et les nombreux électrochocs qu'il subit ne lui permettent pas de recouvrer la mémoire. Cela dit, il parle français, allemand et possède une solide culture.
 Les services de renseignement français voient dans cette amnésie une aubaine et vont faire à Charles la proposition suivante : soit il part à l'aventure, devient un espion, infiltre l'armée allemande, adhère à la Division de fer et file vers la Baltique, soit il croupit dans un asile jusqu'à la fin de ses jours. 
Il deviendra Gustav Lerner, prenant sans le savoir l'identité d'un officier allemand décédé à Berlin mais dont la mort n' a jamais été déclarée et il partira au combat sur le front de l'Est contre les Russes.
Tome 2 : La traversée du paradis. Gustav Lerner (Charles Hirscheim) est rentré chez lui, enfin, plus exactement, chez Mona, la mère du lieutenant dont il a pris le nom.
Évidemment, cette femme voit bien que ce n'est pas son fils, mais tant pis, elle le garde et l'aimera comme tel. 
Gustav s'interroge : qui est-il vraiment ? Peut-il vivre comme cela avec l'identité d'un autre, appeler « mère » une femme qui lui est inconnue ? 
Notre personnage n'aura pas le temps de s'interroger très longtemps car il va être de nouveau en service : ce coup-ci, récupéré par les services secrets allemands, (oui, c'est un peu compliqué, mais on s'y fait!), il est envoyé en Russie et accepte cette proposition parce qu'à Berlin, il est tombé amoureux d'une prostituée et danseuse russe. 
Il sera chargé du rapatriement des prisonniers de guerre, mais en réalité il lui faudra surveiller le travail de coordination entre l'Armée rouge, la Reichswehr et les entreprises d'armement allemandes. 
Il va donc infiltrer le Komintern, organisation que les Bolcheviks ont mise en place pour former les communistes du monde entier. Les services secrets russes (la Tcheka) sont très efficaces et la mission est extrêmement risquée. 
Il part avec deux autres agents et ce qu'ils vont découvrir à Petrograd et à Moscou est terrifiant : les gens meurent littéralement de faim et de froid : « on croisait seulement des fantômes et des cadavres et la bise sifflait dans les rues blanches comme un chant de mort. » Les bâtiments tombent en ruine, les magasins sont fermés, il n'y a plus de transports, des trous se forment sur les routes, les gens se font attaquer dans la rue par des gamins affamés. « Pas de promeneurs ni de chiens ni de chats ni de chevaux - presque tous mangés. Très peu de pigeons et de merles, mangés aussi. » Des odeurs pestilentielles de cadavres, d'excréments et d'ordures flottent dans l'air. Les emprisonnements, tortures, exécutions sont quotidiens. Les Bolcheviks assurent que c'est le blocus des Alliés et des Blancs qui les ruine. Tout le monde surveille tout le monde. Les appartements communautaires sont rendus obligatoires. Les enfants, enlevés à leur famille, sont élevés par l’État. (Tiens, ça, ce n'est pas une mauvaise idée… je plaisante!) Chaque camarade récite sa leçon, plus ou moins convaincu : le communisme mène à un monde meilleur mais il faut du temps. Et les gens vont, résignés...
« … les Russes sont comme le garde qui nous répond : « Qu'est ce que vous voulez qu'on fasse ? » J'avais oublié à quel point c'est ça, la Russie. Le train s'arrête, plus de bois : on attend, c'est emmerdant mais c'est comme ça, c'est pire qu'avant mais qu'est-ce qu'on y peut ? C'est ça, la Russie : on accepte, on prie. On pleure les morts et les malheurs. Et on se console. On boit. On rit. On pleure encore. On prie encore. »
Cela dit, des révoltes commencent à éclater ici et là contre la réquisition des récoltes, même les marins du Kronstadt se mutinent, les grèves se multiplient. Un notaire croupissant au fond d'une prison résume ainsi la situation : « voilà le seul endroit en Russie où le communisme est parfaitement réalisé… Tous ensemble dans la merde : c'est ça, la véritable égalité entre les hommes ! »
A dire vrai, cette évocation de la Russie entre 1918 et 1920 est ce que j'ai préféré dans ce roman : l'auteur montre de façon saisissante la pauvreté absolue qui s'est emparée du pays et qui contraste fort avec les propos toujours très positifs de bolcheviks parfaitement endoctrinés et persuadés d'être sur le bon chemin, n'hésitant pas à tuer en masse pour arriver à leurs fins. Un « paradis en formation » d'après la féministe Hélène Brion. Et quel paradis ! Quelle traversée nous est donnée à faire dans ce roman ! Encore une fois, c'est impressionnant !
Le roman est très documenté et j'avoue m'être parfois un peu perdue. On rencontre en effet de très nombreux personnages historiques ! Et l'on sent toute la passion d'Antoine Rault pour cette période de l'Histoire, passion évidemment très communicative !
Et puis, si vous aimez les romans hautement romanesques, les aventures palpitantes et les histoires d'amour, vous serez servi ! Bon, ce n'est pas toujours très crédible, c'est vrai, mais tant pis, on tremble pour Charles et ses acolytes, on espère qu'il retrouvera sa danseuse chérie et qu'il pourra fuir cet enfer sur terre. Et surtout, on goûte à chaque page le bonheur de n'être pas né là-bas, à cette époque-là.

Je ne peux m'empêcher de penser à ma grand-mère russe (née à Serpoukhov) qui avait fui Moscou pour se réfugier en France en 1918. Je ne l'ai pas connue, hélas. Elle n'est jamais retournée en Russie. Je n'y suis moi-même jamais allée, mais je sais qu'il me faudra un jour découvrir ce pays parce que j'y ai des racines...

             




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